Doussouba Konate | August 31, 2020

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La lutte contre la désinformation est toujours un défi. Elle apporte un certain lot de défis lorsque l’on doit s’adapter à différents niveaux d’alphabétisation de la population, qui à son tour utilise divers canaux pour accéder à l’information. À Accountability Lab Mali, nous nous attaquons à ce défi en combattant les rumeurs sur le Coronavirus, et ainsi donner la bonne information à la population.

Accountability Lab Mali fait partie du réseau Accountability Lab présent dans plus de 10 pays à travers le monde. Fondé en 2016, le Lab est composé d’une équipe de personnes motivées qui travaillent dur pour que la gouvernance soit au service de tous, en soutenant les citoyens actifs, les dirigeants responsables et les institutions responsables. Notre objectif est un monde dans lequel les ressources sont utilisées à bon escient, où les décisions profitent à tous de manière équitable et où les gens mènent une vie décente

Depuis le coup d’État de 2012, le Mali est pris dans une crise multidimensionnelle (crise sociale, politique, sécuritaire et territoriale. Au cours des derniers mois, nous avons assisté à de grandes manifestations de la population exigeant la démission du président sortant, ce qui a conduit à un coup d’État le 18 août 2020. Une grande partie de cette instabilité découle d’une série de crises sociopolitiques causées par la corruption, la mauvaise gouvernance et l’absence de justice sociale. En raison d’un manque de communication sur les questions clés (guerre, insécurité, gestion des fonds publics sous fonds de scandales de corruption, etc.), la population malienne se sent souvent abandonnée par le gouvernement, la laissant dans un état d’incertitude et de méfiance constante à mesure que la situation s’aggrave.

Le Mali et plusieurs autres pays africains ont signalé leur premier cas positif de Covid-19 bien plus tard que les pays asiatiques ou européens. En suivant l’actualité, on a pu voir comment le virus tuait des milliers de personnes par jour. Malheureusement, les autorités n’ont pas communiqué efficacement la gravité de la situation. Quelques banderoles dans les villes, des rapports écrits quotidiens malgré un faible taux d’alphabétisation. Des mesures d’atténuation ont été communiquées par le gouvernement, mais il n’y a pas eu de plan d’action pour s’assurer de la mise en application de ces mesures.

Au fil du temps, le manque d’informations et l’impact des fakenews ont créé beaucoup de fausses idées. De faux documents ont été créés avec le logo d’organisations internationales (par exemple, l’UNICEF), donnant de la crédibilité aux fausses informations. L’une des rumeurs les plus persistantes est que le virus ne peut pas survivre dans des températures chaudes. Cette désinformation a conduit les gens à remettre en question l’existence du COVID-19 et des pratiques telles que le port de masques. On m’a demandé à plusieurs reprises pourquoi je porte un masque au marché, un endroit plein de gens à proximité. La crise sociopolitique n’aide pas la situation, les défis qu’elle engendre éclipsent la pandémie, et la distanciation sociale et les autres mesures de sécurité sont négligées quotidiennement.

En réponse à la désinformation lors de la pandémie COVID-19, Accountability Lab Mali a lancé le programme Civic Action Teams (CivActs) visant à lutter contre le manque d’information entre le gouvernement, les médias, les ONG et les citoyens. Nous accordons une attention particulière à démystifier les rumeurs concernant la pandémie COVID-19, car elle reste un mystère pour beaucoup de gens. Nous luttons contre cette désinformation en partageant des informations validées provenant de sources fiables. Notre équipe recueille des informations erronées par le biais des médias sociaux et de nos Community Frontline Associates (CFA) dans différentes régions du pays. Ensuite, nous vérifions ces informations en contactant les autorités compétentes, pour avoir des informations vérifiées et précises, qui sont par la suite incluses dans nos bulletins que nous partageons sur différentes plateformes de médias sociaux, telles que WhatsApp, Facebook, Twitter et Instagram.

Qu’est-ce qu’un bulletin contient?
– Des données chiffrées sur les décès, les cas positifs, les guérisons, etc.
– Les rumeurs et contrepartie les informations exactes
– Des infographies avec des conseils et des pratiques exemplaires en matière de distanciation sociale et d’autres mesures de sécurité, ainsi que des informations sur les lieux d’accès aux services

La lutte contre la désinformation est particulièrement difficile dans le contexte malien. Le Mali a un taux d’alphabétisation de 50% et un système d’éducation publique extrêmement fragile, qui a connu des grèves incessantes de plus de 6 mois par an au cours des deux dernières années. Cela devient une obligation d’adapter notre travail et de s’assurer qu’il puisse atteindre les communautés les plus marginalisées de notre pays. Voici comment nous nous sommes adaptés jusqu’à présent :

  • Nous créons des bulletins en français et en bambara. Le français est la langue nationale, mais le bambara est la langue la plus parlée dans le pays et augmente considérablement notre portée. L’utilisation de la langue locale nous permet d’inclure davantage de Maliens.
  • Afin d’atteindre les populations peu alphabétisées, nous avons donné la priorité à la création d’infographies. Ces infographies rendent l’information claire et accessible à tous, quelle que soit leur capacité de lecture.
  • Nous avons également donné la priorité à l’écoute de ceux que nous servons directement. Nous avons organisé plusieurs visites sur le terrain pour parler aux communautés et distribuer des kits de protection. Grâce à ces conversations, nous avons mesuré la perception qu’ont les Maliens du coronavirus. Leurs réponses nous ont confirmé que de nombreuses personnes s’interrogent sur la pandémie, ce qui nous a poussés à poursuivre notre travail en partageant des informations sanitaires précises.


Les équipes de Coronavirus CivActs fournissent des kits de protection et encouragent les conversations avec les citoyens pour connaître leur perception du coronavirus.

Grâce à notre travail dans le cadre de Coronavirus CivActs, nous avons appris quelques éléments clés :

  1. Premièrement, il est urgent de lutter pour une société plus inclusive où chaque voix peut être consultée et entendu. Beaucoup de personnes sont encore exclues du processus décisionnel, en particulier les femmes, les jeunes et d’autres groupes marginalisés. Cela crée beaucoup de frustration à l’égard du système politique chez les jeunes, les femmes et la population en général. Un leadership à l’écoute renforcerait la confiance entre les détenteurs du pouvoir et les citoyens, ce qui est crucial lors de crises telles qu’une pandémie. Cette crise multidimensionnelle nous rappelle l’importance d’être à l’écoute de la population et de lui rendre des comptes.
  2. Deuxièmement, notre travail sur les bulletins nous a appris que pour accroître notre portée, nous devons adapter nos communications aux habitudes locales. De nombreux Maliens restent en contact avec leurs amis et leur famille grâce aux notes vocales WhatsApp, c’est donc un domaine où nous pourrions étendre notre portée. Nous espérons créer des notes vocales dans les langues locales (bambara, peul, sonrai selon la région où l’information est diffusée) pour atteindre les communautés les plus marginalisées. Dans d’autres communautés, nous voulons étendre notre portée en investissant davantage dans la radio.
  3. Enfin, cette expérience me donne envie de développer les moyens de créer des boucles de rétroaction avec les communautés. Lors de la distribution des kits de protection, les membres des communautés nous ont donné un aperçu et une perspective très utiles sur la façon dont ils perçoivent la pandémie. Nous espérons recueillir à l’avenir des informations plus significatives et plus substantielles auprès de notre public cible par le biais de groupes de discussion.

La lutte contre COVID-19 et les informations connexes n’est pas terminée. Alors que le virus et les rumeurs continuent de se propager, Accountability Lab Mali continuera d’adapter ses campagnes Coronavirus CivActs. Nous nous efforcerons d’atteindre de nouveaux publics en élargissant notre offre linguistique et nos canaux, en mettant l’accent sur l’inclusion. Au cœur de notre travail, nous nous engageons à créer des citoyens actifs, et que cela passe par l’accessibilité à des informations de source fiable.


En tant que responsable du département Suivi, évaluation et apprentissage du Accountability Lab Mali, Doussouba Konaté contribue à catalyser une nouvelle génération de citoyens actifs et de dirigeants responsables pour développer et mettre en œuvre des idées positives pour une plus grande intégrité. Le Mali est confronté à une crise multidimensionnelle depuis le coup d’État de 2012. La faiblesse du gouvernement a permis l’occupation de terroristes et de groupes rebelles dans le nord du Mali. Dans ce genre de contexte, il est extrêmement important de concerter les populations locales et les victimes de ce conflit, pour leur donner une voix et leur permettre de contribuer au dialogue national.

Les citoyens et les communautés sont rarement consultés sur les décisions qui affectent leur vie, en particulier dans les endroits difficiles d’accès. Lorsque des informations sont recueillies auprès d’eux, le processus est extractif, avec très peu de retour sur la manière dont ces données sont utilisées. La corruption systémique, l’opacité, la discrimination ou la mauvaise gestion des gouvernements locaux et des entreprises empêchent souvent les gens de faire entendre leur voix sur les questions qui les intéressent. Lorsque la confiance auprès des autorités est faible, les rumeurs et la désinformation peuvent créer des boucles de rétroaction négatives qui divisent encore plus les communautés.

Le programme Civic Action Teams (CivActs) veille à ce que chacun comprenne comment et quand le développement aura lieu, en intégrant la responsabilité dans la prise de décision locale en temps réel et en fermant la boucle de rétroaction entre les citoyens, les gouvernements, les médias et le secteur privé. Accountability Lab recueille les perceptions des citoyens maliens sur un sujet spécifique et dans une zone géographique précise, puis diffuse ces informations à la population et aux décideurs à de nombreux niveaux afin de créer des politiques mieux adaptées aux besoins de la population. En tant que Feedback Fellow, Doussouba Konaté est ravie de partager les enseignements qu’elle a tirés du programme CivActTeams. Elle est impatiente de découvrir avec les autres fellows des outils et des technologies utiles pour simplifier le processus de retour d’information.